Je mettais un peu d’ordre dans mes papiers en tombant à tout hasard en cette journée du 15 mai 2013 sur un article que j’avais écrit en juillet 1999 sur le « salaud » de Vikey, le fécond artiste. Une relecture à la hussarde. Et à la nuit tombante, j’apprendrai une funeste nouvelle. Le Gentleman de la chanson africaine francophone, en proie ces dernières années à une kyrielle de maux ; crise d’hypertension et cardio-vasculaire suivi d’hémiplégie s’en est allé et discrètement à la mi-journée du mercredi 15 mai. Il était âgé de 69 ans.
GG Vikey est au « Royaume des cieux » comme il l’avait chanté. Auteur –compositeur de charme doublé d’un virtuose de la guitare, l’homme au petit gabarit avait subi l’influence de l’artiste nigérian Bobby Benson qui fut son modèle. A lui seul, l’enfant de Bopa, né en 1944 à Athiémé, une ville du sud-ouest du Bénin et chef-lieu de la préfecture du Mono savait animer les entractes des soirées théâtrales et chanter à chaque passage du gouverneur colonial.
À l’examen de fin d’études du cours primaire en 1955, Gustave Gbénou Vikey obtenut la majorité des points, en charmant son auditoire d’examinateurs par l’exécution d’un titre, « Le Vieux Chalet », une chanson suisse, probablement la plus connue à travers le monde, puisque traduite en 17 langues et écrite par l’abbé Joseph Bovet. Audacieux et téméraire, il sut concilier les servitudes de la vie scolaire avec les nombreuses exigences d’une carrière d’artiste, il composa une chanson en s’inspirant d’un poème de l’écrivain français Victor Hugo avant d’en composer d’autres en vernaculaire tirées de la tradition.
Ceux qui l’ont connu, ont témoigné que tout jeune, GG Vikey manifesta d’étonnantes dispositions pour la musique, vu qu’il est né dans un pays où la danse et le rythme font partie intégrante du quotidien, de la naissance jusqu’à la mort. Au lycée, il rencontra un professeur de musique qui malheureusement ne combla pas ses attentes. Au lieu de lui apprendre la pratique, il lui inculqua des notions sur la vie des musiciens tels que Bach, Mozart, Beethoven. Non-satisfait, le futur Gentleman de la chanson africaine francophone allait jusqu’à bouder les cours pour aller solfier en sol ou avec des amis. Renvoyé en 1958 de l’école pour huit jours, il en profite pour retourner dans son Bopa natal. Il y trouve une source d’inspiration en regagnant le lycée par pirogue ; d’où le titre « Sur le lac Ahémé ».
Le lac Ahémé, une source d’inspiration
Après son baccalauréat obtenu en 1962, GG Vikey entreprit des études commerciales et comptables en France tout en chantant à ses heures perdues. Non pas pour gagner de l’argent, mais juste pour aider à répandre le goût du récital. Et avec pour désir de se hisser au niveau des idoles que furent Enrico Macias, Georges Brassens, Jacques Brel…De retour au bercail, il devient cadre au Trésor public mais aussi Directeur général de la loterie nationale et dirigé également un grand hôtel à Cotonou.
Une virtuose de la guitare
La seule présence sur scène de GG Vikey, un excellent chanteur doublé d’un bon guitariste, faisait drainer des foules. A Cotonou, Lomé, Abidjan, Dakar… l’artiste fit toujours salle comble avec des titres qui évoquent la Négritude, l’unité africaine. Allant jusqu’à jouer le rôle de policier ou de directeur de conscience. En 1960, son chemin croisa celui d’un Guadeloupéen né au Cameroun, Gilles Sala, qui lui proposa un contrat d’enregistrement. Bon nombre de ses chansons seront pressés chez Riviera. Lassé par la monotonie de la production, GG Vikey se tourna par la suite vers le Togolais Gérard AKUESON, producteur lui aussi et premier phonographe africain en France, alors gérant de la maison de disques Akué après le Festival africain d’Alger en 1969 en testant « Polélo », un de ses titres bien aimé des Arabes. On le verra aussi chez Pathé Marconi mais également à la maison Decca à Londres.
En son temps, GG Vikey réussit à écouler l’équivalent de 15000 disques, ce qui le rapprochait des orchestres congolais. Outre « Polélo » cité plus haut, il est l’auteur de plusieurs autres tels que « la Berceuse du Mono », « Gentleman Vikey », « Vive l’Afrique », « Adowè » (Purée du haricot), « Vikey Président », « la nostalgie africaine », « Va-t’en donc », « Vive les mariés », « Attention surveillez vos femmes »… A son actif, six 45 tours, un 33 et une quarantaine de titres dont certaines sont devenus des morceaux intemporels.
GG Vikey a été un talent qui n’a pas comme d’autres artistes africains notamment le Togolais Grégoire Lawani récemment décédé, trouvé meilleur usage. Naturellement doté d’un captivant timbre vocal, il était aussi un véritable virtuose de la guitare qui ne connut le succès à l’instar de Charles Aznavour ou Jacques Brel à qui il n’a pourtant rien à envier. La carrière de l’artiste n’a tenu que sur une décennie de 1964 à 1974. Poète, il a chanté simple et avec modestie. Avant de renoncer et trop vite à la vie scénique et artistique, dit-on pour des raisons familiales.
Vivant reclus avant d’être admis à la retraite, GG Vikey se consacra à la pratique du jeu de hasard et à la voyance avant d’être sorti de l’anonymat en avril 2003 grâce à un prix d’honneur pour son morceau « Vive les mariés » à lui décerné par Chantal Compaoré, première Dame du Burkina Faso lors de la troisième édition des « Kundé d’or » à Ouagadougou (Burkina-Faso).
Artiste adulé par les dames, GG Vikey, le panafricaniste a chanté et dénoncé l’oppression. Il revint sur le devant de la scène en 1999 suite au Projet musical « Bénin Passion » conjointement réalisé par le journaliste Jean-Luc APLOGAN et Oscar KIDJO ayant réuni de grands noms de la chanson béninoise et togolaise. Au Salon des Lettres Africaines de Cotonou (Bénin), les participants furent exhortés à éditer les textes de l’artiste. Il eut droit à un autre hommage à lui rendu à travers un album réalisé par Diapy Diawara.
Vaincu par la maladie et contraint de se déplacer en chaise roulante, GG Vikey a été fait récemment Commandeur de l’Ordre national du Bénin. Après avoir chanté, charmé, joué avec dextérité sa guitare, exalté l’Afrique, l’artiste est parti pour le « Royaume des cieux », laissant ses mélodies en héritage. Les férus de musique, ses admirateurs unis dans la tristesse, présentent leur compassion à sa famille, à travers son fils aîné, Georges VIKEY, musicien comme lui.
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